La mémoire sélective...

Publié le par Paco Alambron

Je ne parviens absolument pas à comprendre comment et pourquoi Sarkozy a décidé de faire de Guy Môquet le symbole de la résistance à l’occupation Nazie.

En dehors de la charge émotionnelle de la fameuse lettre principalement due au jeune âge de la victime, elle n’a aucun contenu historique, n’ouvre aucune piste de compréhension pour les jeunes générations sur les évènements qui ont secoué la planète au milieu du 20ème siècle, et érige en acteur celui qui ne fut malheureusement qu’une victime.
Il y a un an ou deux de ça, je travaillais sur un projet professionnel consistant à illustrer les noms de rues d’une ville voisine par une courte biographie des personnalités dont le nom avait été choisi pour les dénommer.
Guy Môquet m’avait alors posé problème. Même en scrutant l’internet avec attention, on ne trouvait que fort peu de choses. Une photographie de très mauvaise qualité, la vague notion d’une relation avec Jean-Pierre Timbaud, Gabriel Péri et Louis Aragon, mais difficile à démêler tant l’imprécision sur les circonstances de son combat était grande. Il m’avait été impossible de rédiger la moindre biographie, contrairement à tous les autres grands résistants honorés par le nom d’une rue.
Aujourd’hui, il en va tout autrement. Et l’histoire, pour qui sait en faire une lecture dépassionnée et objective, pose plus de questions qu’elle n’en résout.
Un rappel historique me semble nécessaire.

Guy Môquet est l’une des 48 victimes innocentes de la répression aveugle des occupants Nazis en réponse à un attentat qui avait coûté la vie à Karl Hotz, commandant des troupes d'occupation de la Loire Inférieure, «exécuté» à Nantes le 20 octobre 1941 par trois jeunes résistants, communistes également. Le ministre de l'Intérieur du gouvernement de collaboration de Pétain, Pierre Pucheu, avait alors sélectionné avec un soin effrayant des prisonniers politiques, essentiellement communistes « pour éviter de laisser fusiller cinquante bons Français », selon sa propre formule : dix-huit emprisonnés à Nantes, vingt-sept à Châteaubriant et cinq Nantais emprisonnés à Paris. Les 27 fusillés de Châteaubriant sont souvent honorés collectivement sous le nom de «Martyrs de Châteaubriant».
Cette vague de répression avait soulevé une vive émotion parmi la population, au point que l’occupant Nazi avait renoncé à une seconde série d’exécutions. Le but de l’occupant était en effet de terroriser la population, pas de la soulever massivement.
Guy Môquet était le fils d'un syndicaliste cheminot, député communiste du 17e arrondissement de Paris, Prosper Môquet. Or, en 1938, l’Union Soviétique, qui était le modèle idéologique des communistes européens, avait signé le pacte de non-agression avec l’Allemagne Nazie, connu sous le nom de Pacte Molotov-Ribbentrop. De nombreux militants communistes, dont le père de Guy Môquet, avaient été arrêtés par le gouvernement français sous l'accusation de sabotage et de démoralisation de l'armée. Ils étaient de fait beaucoup plus virulents contre le régime de Vichy que contre l’ocupant Nazi.
Jeune lycéen, Guy Môquet déployait alors une grande ardeur militante pour distribuer des tracts qui reflétaient la ligne politique de son parti en été 1940, et rendaient responsable de la guerre le complot judéo-maçonique et la finance occidentale, sans que ne soient directement dénoncées les visées hégémoniques de l’Allemagne Nazie.
A aucun moment de sa biographie il n’est fait état d’une activité de résistance contre l’occupant. Cela n’aurait d’ailleurs pas justifié son arrestation par la police française dès 1940. Car Guy Môquet fut arrêté à seize ans le 15 octobre 1940 par des policiers français dans le cadre du décret-loi Daladier de 1939 interdisant la propagande communiste, pour se retrouver désigné le 22 octobre 1941 parmi les 27 fusillés de Châteaubriant.
Ce n'est pas faire injure à sa mémoire que de rappeler quel était son engagement réel, et il serait absurde d'en faire grief à un enfant de 17 ans.
Normalement, son sort aurait du resté lié à celui de ses compagnons martyrs. Pourtant, parmi les otages de Châteaubriant, Guy Môquet est le seul à avoir été cité à l'ordre de la Nation. Dès 1944, le général de Gaulle signe en effet le décret qui fait de lui un résistant à part entière.
En effet, il semble que de Gaulle et Prosper Môquet entretenaient des relations privilégiées, ce qui se conçoit très bien quand on connaît la fidélité du général à ses compagnons d’armes communistes en mémoire du rôle éminent qu’ils ont joué dans la résistance après 1941.
Mais était-il besoin d’antidater ainsi leur engagement réel dans la résistance pour effacer le trouble de leur position en 1939 et 1940 ? N’ont-il pas payé un assez lourd tribut pour qu’on soit obligé de manipuler ainsi l’histoire ?

Il me paraît extrêmement important de transmettre aux générations futures le souvenir de telles abominations et de perpétuer le souvenir de ceux qui sont tombés sous les coups aveugles de la barbarie la plus abjecte. La mémoire de cette jeunesse sacrifiée doit être enseignée à nos enfants pour qu’ils sachent reconnaître le visage de la barbarie.

Mais il faut le faire avec dignité !

Le fait de considérer séparément le sort de Guy Môquet de celui de ses 47 compagnons ne me paraît cependant pas justifié par une action exceptionnellement exemplaire de sa part, et ils ont droit à notre compassion et à notre souvenir autant que lui. Ils sont tombés sous les mêmes balles.
Focaliser toute la symbolique de ces moments tragiques sur Guy Môquet, c’est oublier un peu vite les fusillés de Nantes ou du Mont Valérien, plus tard ceux de Bordeaux également assassinés en représailles.
Qui rendra le même hommage à André Le Moal qui, à dix-sept ans lui aussi, fut fusillé à Nantes le 22 octobre 1941? Il avait été arrêté pour violences contre les soldats allemands. Un acte de résistance sans idéologie politique, commis parce qu’il refusait de voir son pays occupé et humilié sans réagir.

Je ne comprends pas pourquoi Guy Môquet a été choisi pour incarner cet esprit de sacrifice et de résistance dont il n’était pas l’exemple le plus évident. Comme si mourir à dix-sept ans était un exploit! Guy Môquet n’avait pas demandé à mourir sous les balles des nazis.
Et je ne parviens pas à m’imaginer non plus pourquoi nous le devons à Nicolas Sarkozy dont les idéaux politiques sont à l’opposé de ceux qui motivaient Guy Môquet.
Je comprends parfaitement les enseignants qui ont exprimé leur refus d’associer leurs élèves au souvenir de cette façon là.

Le 22 octobre, j’aurai une pensée pour les victimes innocentes de la folie meurtrière dont Guy Môquet faisait indiscutablement partie.
Je ne lirai sa lettre à personne… elle était adressée à ses parents, pas à la postérité.
L’émotion qu’elle suscite à juste titre n’est pas saine lorsqu’elle sert des calculs politiciens.

Et tant qu’à lire une lettre, je relirai peut-être celle de Missak Manouchian.

Mr Sarkozy
, je ne vous félicite pas.
 

Publié dans Les feux de l'actu

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Q
Buenas noches, don Paco.Cela faisait longtemps que je n'étais plus venue vous rendre visite. Je pensais que vous ne veniez plus et voilà que j'ai du retard en lecture.Merci pour cette belle leçon d'histoire... Que nos dirigeants devraient lire aussi !
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V
Je me demande si tu ne réfléchis pas plus que notre chef d'état, Sancho...<br /> En tout cas, merci pour la leçon d'histoire... moi qui était souvent fourrée rue Guy Moquet (dans le 18 ème arr., ), il y a vingt ans, je ne savais même pas qui il était !!!
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V
Bien sur, mais les autres n'ont peut être pas assez bien écrit dans le genre mélo... il ne faut pas oublier les choses importantes, quoi...ou alors on n'a pas bien cherché (plutôt ça...).De toute façon, celui là ou un autre, on commence à avoir tellement de poudre aux yeux qu'on va bientot pouvoir en faire un pudding !Mais là où c'est vraiment injuste c'est qu'on se rend compte que Cecilia aussi, elle fait de la résistance... et on lit pas ses lettres, hein !
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V
Quelle que soit la personne choisie, c'est toujours très délicat d'isoler un élément pour s'en servir de symbole, par rapport à tous les autres qui ne sont pas cités. Mais sur le principe, ils sont censés être honorés par le biais de celui qui a été choisit comme symbole, mais il y a une abstraction à faire qui est loin d'être naturelle au bout du compte. En plus on trouvera toujours mieux, ou plus représentatif. En fait, un symbole ne devrait pas être nominatif, , comme le soldat inconnu.
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P
Bien sûr, mais pour symboliser la résistance à l'oppression, n'aurait-il pas mieux valu choisir au minimum... un résistant?